dimanche, mai 20, 2007

Web = Moteur de recherche + Publicité en ligne + Applications, l'équation à 6 milliards de dollars

La consolidation dans le Web avance maintenant au rythme rapide des méga-acquisitions. Alors que Google venait juste d'annoncer son nouveau slogan « Search, Ads and Apps » (Moteur de recherche, Publicité en ligne et Applications), Microsoft semble reprendre à son compte ce saisissant résumé commercial d'Internet avec la tonitruante acquisition de AQuantive pour 6 milliards de dollars.

Analysons donc cette équation si coûteuse.

1. Recherche

Comme dans la mythologie grecque, les Titans du Web s'affrontent dans une bataille permanente. Au plan de la recherche sur le Web, Google, cette semaine encore, montrait qu'il ne se laissait pas impunément défier sa position de leader en dévoilant Universal Search, un service d'agrégation de ses différents moteurs de recherches (Web, images, vidéos, livres, etc.).

La stratégie de Google vise à maintenir sa position de force contre les moteurs de recherche alternatifs émergents. Ces moteurs sont habituellement classés en trois grandes catégories aux frontières d'ailleurs indécises :

- ceux fondés sur des technologies différentes, supposées ou prétendues « meilleures » que celles des géants du moteur de recherche (exemples : agents, langage naturel, sémantique illustrés par Sinequa, Hakia, Exalead, Lexxe Copernic et d'autres).

- ceux fondés sur le « social computing » et sur le mimétisme des utilisateurs (exemples : del.icio.us racheté par Yahoo!, Rollyo, Yoono, ChaCha etc.) dont certains ont déjà des millions d'utilisateurs, souvent profilés et donc de grande valeur pour les annonceurs.

- ceux tentant de se distinguer par une interface utilisateur différente de celles auxquelles les Titans nous ont, par la force des chose, habitués (exemples : les prévisualisations comme avec Microsoft Live et Snap ; les agrégations comme avec Clusty, SearchMash de Google lui-même !, Copernic, Teoma devenu Ask - The Algorithm ! - ; et la visualisation comme chez Quintura, Kartoo, et bien d'autres).

- ceux enfin dit « verticaux » très nombreux qui s'intéressent à un domaine spécifique (santé, actualités, offres d'emploi, voyages, produits...) ou à des sources spécifiques (images, vidéos, blogs, flux RSS etc.). Dans ce registre la concurrence est active : on rappelle la rachat du moteur vertical sur la Santé, Medstory, par Microsoft en février dernier. Colportons également ici la rumeur de l'acquisition imminente de FeedBurner, le plus gros agrégateur de flux RSS, par Google.

En menant de pair une politique d'acquisition de sites de contenus, comme celle de YouTube ($1,7bn), qui se double ici d'une acquisition d'une base de « spectateurs » mûrs pour une dose supplémentaire de publicité en ligne, Google vise à se présenter comme universel tant du côté client que du côté serveur. Sur ce plan, Yahoo! n'est pas en reste. La longue série d'acquisitions de Yahoo! ces dernières années, Inktomi, AlltheWeb, Overture, Kelkoo, Stata Labs/Bloomba, Flickr, Alibaba, Upcoming.org, del.icio.us, MyBlogLog, et ce week-end même Bebo ($1bn) le plus grand site Web social anglais, se déchiffre suivant la même grille d'interprétation.

2. Applications

La confrontation est engagée de longue date sur ce front. Depuis Google Desktop, le géant de Mountain View ne cache pas ses ambitions sur le marché des applications bureautiques, le terrain de chasse traditionnel de Microsoft. Mêlant acquisitions et développements internes, Google réussit à aligner son interprétation, hébergée en ligne, et bien sûr vecteur de plus de publicité en ligne, d'une suite Office - que certains qualifient hardiment de « Office 2.0 », une conférence de ce titre se tenait l'hiver dernier à San Francisco - directement concurrente du best-seller de Microsoft.

Là aussi l'objectif s'est légèrement déplacé au fur et à mesure des annonces et des livraisons. Google et Microsoft, rejoint d'ailleurs, sur ces sujets, par des challengers comme Adobe et une communauté Open Source de plus en plus active et prolifique, cherchent maintenant à s'accaparer l'attention des développeurs d'applications et des programmeurs : une première étape vers une entrée en force de ces applications dans l'entreprise via le poste client connecté au Web. Notons ironiquement que cette stratégie, loin d'être nouvelle, avait été déployée avec le succès qu'on connaît par Microsoft autour des produits Visual Basic et Visual Studio il y a plus de quinze ans.

Nous avons déjà commenté ailleurs ces stratégies visant à raviver une industrie des logiciels d'entreprise, qui donne depuis quelques années tous les signes d'une consolidation et de la maturité des secteurs cycliques des « commodités », en injectant une dose massive de RIA/RDA pour y revenir ici. Mais remarquons quand même qu'à l'exception (notable) de YUI, Yahoo User Interface, et du récent Yahoo Pipes, Yahoo! est plutôt absent sur ce front. Une orientation que l'on pouvait pressentir dès 2005, quand probablement piqué au vif par le rachat de MySpace par News Corp (juillet 2005, $580m), Yahoo s'orientait décidément vers les médias, nommait des anciens d'ABC à des postes stratégiques et intégrait un gigantesque établissement à Santa Monica, près de Hollywood.

3. Publicité en ligne

C'est évidemment une semaine prodigieuse pour l'industrie de la publicité en ligne que celle qui vient de s'achever. Alors que les analystes se remettaient à peine de l'acquisition de DoubleClick par Google ($3,1bn) le mois dernier immédiatement contrée par celle de RightMedia par Yahoo! ($680m), voici donc qu'à quelques jours d'intervalles WPP acquiert 24/7 Real Media ($650m) et Microsoft s'empare de AQuantive pour 6 milliards de dollars.

Il est instructif de comparer les valorisations sous-jacentes à ces méga-deals :

Google/Double Click : $3,1bn pour 290mds d'impressions par mois ;
Yahoo!/RightMedia : $0,85bn pour 20mds d'impressions par mois ;
WPP/24-7 Rich Media : $0,65bn pour 200mds d'impressions par mois ;
Microsoft/AQuantive : $6bn pour 220 mds d'impressions par mois ; par ailleurs, AQuantive affiche des marges de seulement 12% (comparées aux 28% de Microsoft) et un chiffre d'affaires de $442m l'année dernière.

La prime incroyable payée par Microsoft (86% de plus que le cours de Bourse d'AQuantive), se retrouve également dans le prix par impression par mois deux fois plus élevé, en gros, que celui consenti par les acquéreurs dans les précédentes transations. Le message de Microsoft va donc bien au-delà de son simple maintien dans la course à la consolidation : le géant de Redmond rappelle qu’il est primus inter pares, et que l'argent reste roi : son trésor de guerre fait pâlir tous ses concurrents !

Magnifiques exemples, au demeurant, de consolidation industrielle au sens économique et classique du terme. Le marché de la publicité en ligne représenterait environ $40bn cette année et, surtout, serait animé d'une croissance de plus de 20% par an. Voilà qui ne laisse aucun de nos Titans indifférent. Le départ avait été donné, il y a quelques années, par l'acquisition d'Advertising.com par AOL (juin 2004, $435m). AOL avait alors mis en avant la combinaison du stock d'AOL et du réseau d'Advertising.com pour les annonceurs et les éditeurs de contenus. Microsoft met aujourd'hui en avant les mêmes arguments à l'occasion de cette acquisition. La combinaison du réseau d'AQuantive, qui se réclame le leader pour les achats et la gestion de campagne marketing (Atlas) pour les agences, et du stock représenté par Microsoft - surtout avec sa politique « multi-devices » clairement affichée - serait la nouvelle combinaison gagnante.

Et de fait, la stratégie différenciée de Microsoft vise à démultiplier sa présence sur les formes émergentes de média comme :

- la téléphonie mobile (et un cocorico cocardier de plus pour les acquisitions de MotionBridge et de ScreenTonic, mais aussi Tellme Networks, en mars dernier pour $800m environ) ;

- les consoles de jeux (avec, en particulier, le rachat en 2006 de Massive pour $300m, le pionnier de la publicité dans les jeux, mais aussi la litanie d'acquisition de studios comme Bungie, LionHead etc.) ;

- la PCTV/IPTV, la télévision sur PC ou sur réseau IP, dont la croissance lente n'empêche pas les grands acteurs d'y poursuivre leurs investissements. (Début mai, ici, France Telecom annonçait une base de 768.000 utilisateurs de MaLigneTV singulièrement en croissance du niveau de 200.000 environ qu'elle avait atteint auparavant.)

L'objectif est évidemment d'accroître le stock pour les annonceurs en ligne et de compléter ainsi l'intégration verticale.

Alors après avoir prétendu à l'annonce de deux scoops qui illustreraient parfaitement cette grille de lecture, le rachat de FeedBurner par Google et celui de Bebo par Yahoo!, j'imagine que le point final de la démonstration serait donné par un troisième, en fait la réalisation d'une rumeur persistante depuis quelques mois : la combinaison unique du plus grand stock mondial et de l'ambitieux leader de l'édition du logiciel, le rachat de Yahoo! par Microsoft.

Les acquisitions n'ont pas fini de nous donner le tournis...

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