dimanche, janvier 27, 2008

Les logiciels libres fuieraient-ils l'Europe à tire de (MySQ)aile ?!

Alors que beaucoup s'interrogent sur le récent coup d'éclat réussi par Sun Microsystems avec le rachat de l'éditeur Open Source MySQL pour près d'un milliard de dollars, nous constaterons, plus prosaïquement que voilà encore une émigration d'un projet libre européen vers les cieux étasuniens. La « stratégie de Lisbonne » adoptée dans l'aveuglement euphorique de la bulle Internet n'a pas fini de sombrer...

Naguère, en 2004, dans un ensemble touchant, les trois plus célèbres auteurs européens de logiciels libres lançaient un appel contre les brevets logiciels alors en discussion à Bruxelles. Linus Torvalds (Linux), Michael Widenius (MySQL) et Rasmus Lerdorf (PHP) exhortaient le Conseil de l'UE à ne pas ratifier une proposition de directive sur les brevets logiciels qu'ils considéraient « trompeuse, dangereuse et démocratiquement illégitime ». Las ! Nos choristes n'ont pas longtemps résisté aux sirènes d'outre-Atlantique et ont bien vite rejoint le pays des brevets logiciels. De là à imaginer que les dollars pourraient acheter une légitimité démocratique... Linus Torvalds a quitté sa Finlande natale pour la Silicon Valley (Transmeta) puis l'Oregon (Open Source Development Lab). Rasmus Lerdorf, danois natif du Groenland, travaille maintenant chez Yahoo!. Michael Widenius, né en Finlande et co-fondateur de MySQL en Suède, rejoint maintenant Sun. Marc Fleury, le français qui avait animé le projet JBoss l'a revendu à l'américain Red Hat en 2006. (Il a rejoint le mois dernier Appcelerator une startup qui travaille sur les développements dits RIA pour « Rich Internet Applications » à Atlanta.)

Et quel exemple donne-t-on à la génération actuelle des Talend, Nuxeo, DreamFace Interactive, XWiki, Mandriva, Wallix et tous les autres ! Ceux-là même qui vaillamment s'insurgent, récemment encore, contre l'incompréhensible communiqué de presse de l'AFDEL sur le rapport de la Commission Attali. Le rapport, dont nul n'ignore aujourd'hui qu'il vient avant-hier de libérer la croissance française a en effet l'audace d'écrire en cinquante-huitième (pro)position :

« Promouvoir la concurrence entre logiciels propriétaires et logiciels "libres".

Le patrimoine d’applications dites "libres" ou "open source", créées par une communauté active, représente l’équivalent de 131 000 années/hommes, dont pratiquement la moitié provient de programmeurs européens. Si le coût virtuel en est de 12 Md, le coût réel est de 1,2 Md et les communautés de logiciels libres s’engagent gracieusement à proposer en continu des améliorations et des applications. Le logiciel libre induit une économie moyenne de 36 % en recherche et développement pour les entreprises utilisatrices. Il permet de créer une concurrence pour les logiciels propriétaires, dont les avantages sont différents. Leur part de marché n’est aujourd’hui que de 2 % (avec une croissance annuelle de 40 %) contre 98 % pour les logiciels dits "propriétaires". Pour développer la concurrence, une série d’actions est nécessaire :

- Promouvoir la concurrence entre les logiciels propriétaires et les logiciels libres dans les appels d’offres, notamment publics. Un objectif de 20 % des applications nouvellement développées ou installées au profit du secteur public en open source pourrait être fixé à l’horizon 2012.

- Considérer fiscalement, comme aux États-Unis, les aides aux communautés des logiciels libres comme du mécénat de compétence. - Exiger, à un niveau européen dans le cadre de la politique de la concurrence entre solutions logicielles, la fixation de normes internationales garantissant l’interopérabilité entre logiciels libres et les logiciels propriétaires, en priorité. »

Ce passage a déclenché illico l'ire de l'AFDEL, l’Association française des éditeurs de logiciels, qui déclarait glacialement « la Commission tourne le dos à l'innovation ». En réponse le jour même, un communiqué cinglant était publié dans ces mêmes colonnes, signé des grands éditeurs français de logiciels libres.

Remettons le débat en perspective. Que penser de cette querelle lorsque les grands éditeurs américains, au premier chef desquels Microsoft, par exemple, ont depuis longtemps dépassé la stérilité de ce débat devant les progrès des idées issues de l'Open Source et tentent aujourd'hui de trouver des réponses stratégiques plus subtiles ? En mai dernier encore, Brad Smith, directeur juridique de Microsoft, déclarait que les logiciels libres et gratuits violaient plus de 230 des brevets détenus par la firme de Redmond. Ce même Microsoft, toujours en butte à la Commission européenne, signait en décembre dernier un accord avec la Protocol Freedom Information Foundation dans le but d’aider les éditeurs Open Source.

De même, à quelle vision stratégique rattacher le rachat de MySQL par Sun, dont les effets de bords nourrissent sur nos rives la vivacité du débat ? Les tenants de la théorie du complot rivalisent d'imagination : tout serait ourdi par le conspirateur Larry Ellison d'Oracle, trop occupé à digérer BEA tout en ayant l'oeil de la concupiscence peccamineuse pour son grand rival Open Source -- qu'il avait tenté de circonscrire en s'emparant de InnoDB et en livrant une version rapiécée de Red Hat Linux sous le nom évocateur de « Unbreakable Linux ». Ne pouvant s'emparer de ce morceau de choix, Oracle l'aurait « laissé en pâture » à un Sun dont il estimerait l'historique de succès dans l'intégration des acquisitions en logiciel particulièrement pathétique. Ne pouvant l'avaler, penserait-il le neutraliser en l'abandonnant à des mains qu'il juge ineptes !

Ou bien est-ce un Jonathan Schwartz en mal de stratégie destinée à redorer le blason du constructeur qui aurait suivi l'exemple d'un IBM, depuis longtemps contributeur de poids aux communautés Open Source ? Il faudra suivre les développements de cette méga-acquisition et les remous qu'elle provoque pour en savoir plus.

C'est désormais une habitude, on n'a de toute manière pas fini de se perdre en conjectures sur les dommages collatéraux sur le village européen du hasard des luttes stratégiques engagées par les très grands éditeurs américains de logiciels.

ShareThis