mardi, avril 08, 2008

Vos applications nous intéressent !

Tandis que la danse de salon lancée par Microsoft autour de Yahoo! tourne au battle rap aigre-doux, Google vient d'annoncer le lancement imminent de « BigTable », un nouveau service d'hébergement d'applications et de mise à disposition des ressources pléthoriques du géant de la recherche en ligne. On ne peut plus clairement délimiter les enjeux actuels du contrôle du Web !

Après l'acquisition de Fast, Microsoft avait ouvert le feu, confirmant des rumeurs diverses et variées qui circulaient depuis des années en fait, en se lançant dans un offre non sollicitée d'acquisition de Yahoo! fin janvier 2008. Jouant les vertus effarouchées Yahoo! pratiquait d'abord l'indifférence étudiée devant cette avance de Redmond. Pendant un trimestre nous avons alors assisté au spectacle surréaliste de nos deux acteurs poursuivant leurs business as usual comme si l'OPA n'était pas le sujet du jour. « Pendant l'OPA, les acquisitions continuent ! » semblait-on devoir se dire à la lecture de la poursuite par Microsoft et par Yahoo! de leur stratégie d'acquisitions de startups annoncée par voie de presse (FoxyTunes, Maven Networks pour Yahoo! ; Danger, Inc., Rapt, Komoku, Credentica pour Microsoft). En même temps Yahoo! dévoilait début avril son nouveau système de gestion de publicités en ligne, AMP, « still months away from being ready » (à des mois d'être prêt) précisait quand même le communiqué. Mais toujours un bon argument en réponse à l'acquisition récente de DoubleClick par Google, et sûrement un solide atout dans la discussion de la valorisation de l'offre de Microsoft.

Inévitablement le ton est monté et Steve Ballmer - connu pour son sens de la mesure et sa délicatesse - envoyait une lettre en forme d'ultimatum à Yahoo!. « Si nous n'avons pas conclu un accord d'ici trois semaines, nous serons obligés de prendre contact directement avec vos actionnaires, voire d'engager avec eux l'ouverture d'une procédure pour faire élire un autre conseil d'administration », écrivit-il aux dirigeants de Yahoo, dans une lettre datée du 5 avril, avant de rappeler que, pendant les deux mois qui ont suivi l'offre de l'éditeur de Redmond, les parts de marché de Yahoo se sont effritées, dans un contexte économique de plus en plus morose, histoire d'enfoncer le clou.

Hier le Conseil d'administration de Yahoo! a rendu publique sa réponse officielle, réitérant son refus de principe mais laissant ouverte l'option si la valorisation était revue à la hausse. (Trente-cinq phrases courtoises et vénéneuses dans lequel l'expression « maximize stockholders value » apparaît quand même neuf fois.) On attend avec jubilation les réactions de Microsoft...

Et pendant ce temps-là, le cours de Google continue de s'effondrer : près de $700 au début janvier 2008, $476.82 au closing hier soir. Pas d'affolement : la capitalisation frise les 150 milliards de dollars malgré cette chute ! Le 2 avril dernier, Google annonçait le plus grand licenciement de sa jeune carrière de prodige du Web. 300 personnes issues de DoubleClick, pourtant acquise le mois dernier seulement pour 3,24 milliards de dollars vont partir. (On imagine l'affaire si Google avait été français ! Bien heureusement les efforts nationaux se concentrent à nouveau sur Quaero, qui vient de récupérer 100M€ après avoir été misérablement lâché par nos amis allemands, la prometteuse concurrence hexagonale à l'impérialisme libéral mondialisant de Mountain View, voulue et décrétée par Jeanneney-Chirac !) On pouvait s'inquiéter à juste titre : Microsoft, même empêtré dans l'OPA sur Yahoo!, arriverait-il néanmoins à ses fins de manière indirecte en provoquant le déclin et la chute de l'Empire Google ?

L'annonce de BigTable - qui, rappelons le, est dans la droite lignée de la série entamée il y a quelques années avec GMail, l'hébergement d'applications de bureautique, Google Web Toolkit pour les programmeurs, etc. - est-elle une réaction à la farandole impromptue Microsoft-Yahoo! ?

Il est évident que ce service viendra concurrencer directement les fameux Web Services d'Amazon (aux noms évocateurs comme S3, EC2, SimpleDB...) et AppExchange de SalesForce.com, tous deux salués à l'époque de leurs lancements respectifs comme pionniers des nouveaux services Web. Notons que l'idée commence également à se répandre ; avec la livraison du nouveau SDK pour l'iPhone, Apple a bien précisé que, comme pour iTunes, les applications iPhone ne seraient vendues qu'au travers de la plateforme propriétaire à laquelle les développeurs eux-mêmes sont également priés de s'abonner.

De fait, Google laisse depuis longtemps filtrer progressivement des informations sur les joyaux de sa couronne : son système de fichiers, le Google File System, son algorithme de répartition de tâches (MapReduce) et met depuis longtemps en avant les capacités des ses datacenters. Autant de signaux envoyés à la communauté des développeurs.

Mais plus généralement c'est, d'une certaine manière, le retour de la centralisation propriétaire (le « walled garden » que l'on a un temps reproché aux fournisseurs d'accès Internet). Dans sa version moderne, également incarnée par Facebook, par exemple, les troupeaux de développeurs sont cornaqués vers les enclos propriétaires où toute l'instrumentation et la gadgeterie moderne est à leur disposition pour s'ébattre : gigaoctets (6,6 sur mon compte GMail et « plus à venir » clame la page d'accueil !), APIs (10 rubriques représentant des milliers d'API en libre service), des programmes Open Source, des « summers of code » festifs pour les privilégiés, un référentiel gratuit et des milliers de projets sur code.google.com.

Plus intéressant encore, si la tarification est faible - voire gratuite - l'effet d'opportunité jouerait à plein et de nombreuses startups devraient alors se précipiter sur l'occasion d'externaliser leurs coûts d'infrastructure. Du coup, on peut imaginer que Google en bénéficie indirectement mais efficacement en diminuant significativement le coût de ses acquisitions si celles-ci sont déjà hébergées sur BigTable. Pas de migration et pas d'intégration : la startup en prêt à porter. Pour les mêmes raisons d'ailleurs, Microsoft pourrait bénéficier du même effet en rachetant Yahoo! qui est fondé sur une plateforme Open Source, réputée plus facile à intégrer.

La bataille pour la domination du Web bat son plein !

ShareThis