Comme le relevait Jean Peyrelevade dans « Le Capitalisme total », un constat roboratif paru en octobre 2005, « le capitalisme moderne est à la fois désintermédié et institutionalisé ». L'IPO annoncée de Blackstone, l'un des plus gros gestionnaires de fonds d'investissement américain, et le rebondissement inopiné de ces derniers jours provoqué par la prise annoncée d'une participation de 10%, pour 3 milliards de dollars, par le gouvernement chinois, illustre à merveille les contradictions et les changements qui bouleversent aujourd'hui ce capitalisme "moderne".
À l'exception des Etats-Unis, où il reste encore élevé malgré une diminution récente, la détention directe par les ménages du capital des sociétés cotées est en recul rapide dans la plupart des pays développés. Deux modèles s'affrontent en ce qui concerne la part institutionnelle croissante dans la détention de la capitalisation boursière. Dans le premier modèle, parfaitement illustré par les Etats-Unis, l'Angleterre, le Canada, le financement des retraites par capitalisation entraîne la domination des fonds de pension et des compagnies d'assurance. Dans le second modèle, plus évident en France, en Allemagne, en Italie ou au Japon, Etat, collectivités publiques, banques et participations croisées entre sociétés dominent. Laissant de côté le débat, politiquement chargé, sur les mérites comparés des deux modèles, constatons simplement qu'en gros près de la moitié des actions cotées détenues dans le monde le sont de façon indirecte, via des fonds d'investissement. La concentration des titres dans les mains de cette nouvelle catégorie d'institutions, les gestionnaires de fonds, a transformé profondément la nature de la relation entre mandants et mandataires dans un capitalisme anglo-saxon dont les bases se sont singulièrement élargies depuis vingt ans. Simultanément la concurrence entre ces fonds de gestion de coté s'est aiguisée et la règlementation s'est alourdie au motif du devoir de bonne gestion de l'intérêt des épargnants (futurs retraités). C'est, par exemple, la loi Sarbanes-Oxley aux Etats-Unis, dont on débat à nouveau aujourd'hui pour éventuellement en assouplir certaines obligations, mais également, dans d'autres domaines, Bâle II, MiFID, qui sont des exemples activement débattus des nouvelles réglementations visant à maîtriser le courant de cette évolution mondiale.
Les grands fonds de gestion privée, qui sont majoritairement américains, ont donc beau jeu de se gausser de leurs homologues du coté, qu'ils ont l'habitude de ridiculiser les voyant empêtrés dans le maquis insondable des réglementations tatillonnes aux sanctions parfois brutales - que l'on songe à l'affaire Enron qui a contribué au "déballage" du fonctionnement de l'investisseur institutionnel en coté. La logique qui veut que l'attrait du privé pour le gestionnaire de fonds se renforce à la mesure de l'alourdissement des obligations et des devoirs de transparence qui échoient à son concurrent du coté semblait donc clairement établie.
Premier coup de théâtre : Blackstone Group transmet à l'autorité américaine des marchés financiers le document S-1 préparatoire à une introduction au marché réglementé de New York (NYSE, le New York Stock Exchange qui vient d'absorber Eurolist).
Blackstone Group, avec ses pairs comme TPG, Carlyle et quelques autres, est l'un des plus gros gestionnaires de fonds privé du monde. De plus, Blackstone est le grand spécialiste des retraits de cote : une opération consistant à racheter la totalité des titres cotés d'une société listée pour des intérêts privés (près de 370 milliards de transaction pour Blackstone rien qu'en 2006 !). Argumentant précisément de la lourdeur et du coût démesurés de la réglementation pour les sociétés cotées, Blackstone Group propose de racheter ces sociétés et de les retirer de la cote, promettant une gestion privée moins embarrassée des contraintes du coté. (Notons que ce type d'opérations, qui existe également en France, est en général universellement décrié dans notre pays soit au motif du « patriotisme économique » qui ne saurait laisser les fleurons de l'industrie française passer dans des mains étrangères et de plus privées, soit au motif de l'impact social des réorganisations qui suivent immanquablement ces rachats de sociétés cotées.) Or Blackstone Group ne propose-t-il pas aujourd'hui de faire exactement le contraire de ce qu'il prêche !
Une phrase du document S-1 ajoute la confusion à la stupéfaction des milieux financiers à l'annonce de l'IPO : « We intend to be a different kind of public company. [...] While we believe that becoming a publicly traded company will provide us with many benefits, it is our intention to preserve the elements of our culture that have contributed to our success as a privately-owned firm » y dit le CEO Stephen Schwarzman. (« Nous avons l'intention d'être une société cotée d'une nouvelle sorte [...] Autant nous croyons que devenir une société cotée nous apportera de nombreux avantages, autant nous avons l'intention de préserver les éléments de notre culture qui ont contribué à notre succès de société privée. ») On ne peut pas mieux exprimer la contradiction !
Comme le notait le magazine financier The Economist, les premiers bénéficiaires de cette introduction sur le marché sont, au premier chef, le CEO du Blackstone Groupe et sa garde rapprochée de "senior managers". Le S-1 est particulièrement discret sur ce point, mais M. Schwarzman est généralement crédité d'une détention de 40% de la société de gestion, la structure juridique qui sera offerte à la cotation à une valorisation initiale de 40 milliards de dollars. Même si la direction ne pourra vendre immédiatement ses titres sur le marché, les parachutes dorés et les stock-options de nos dirigeants français - dont on se dirige peut-être vers l'interdiction légale sous nos cieux après la récente prise de position de Louis Gallois, tout à fait dans le sens du vent politique ces derniers temps - feront de toute manière figure d'argent de poche. En 2006, Blackstone Group a engrangé plus de 850 millions de dollars de revenus, dont les frais de gestion (en général proportionnels aux montants des fonds gérés).
Mais le calendrier de cette introduction a peut-être aussi à voir avec la proximité de l'avis du Congrès américain que l'on attend aux Etats-Unis sur la taxation des profits réalisés par les fonds de gestion privés. La question est de choisir de fiscaliser les revenus de la part des profits des fonds qui revient à la société de gestion (le « carried interest ») comme revenus (35% aux USA) ou comme revenus du capital (15% aux USA). À l'échelle des montants astronomiques en jeu la question est de taille. Blackstone Group veut-il se hâter avant qu'un éventuel couperet ne tombe qui amputerait massivement ses profits ? TPG, un des autres méga-fonds concurrent de Blackstone, a aussi annoncé son intention de vendre une participation de 20% de sa société de gestion à des fonds de pension public - une démarche plus discrète vers le coté. De là à voir les méga-fonds anticiper un changement de règlementation pour plus de sévérité fiscale...
C'est à ce moment des spéculations que tombe le second coup de théâtre : le gouvernement chinois, par le truchement de la SIE (Société d'investissement de l'Etat), annonce vouloir prendre une participation de 3 milliards de dollars dans Blackstone Group à l'occasion de son IPO. Du coup les introducteurs ont porté de 4 à 7,8 milliards de dollars le montant qu'ils cherchent à lever sur les marchés. Ces 3 milliards de dollars - une paille au regard des réserves de change du pays qui s'élèvent à 1 200 milliards de dollars ! - donneraient à la SIE 10% du capital de Blackstone Group.
C'est "Tigre et Dragon" dans la finance américaine qui s'affole et se répand en rumeurs, contre-rumeurs et se perd en folles spéculations et conjectures depuis ce coup de tonnerre. L'irruption de la Chine dans la finance américaine est de toute évidence vécu comme une agression inattendue.
En effet comme l'ont noté tous les observateurs il s'agit d'un changement de stratégie radicale. Jusqu'à présent, Pékin plaçait la quasi-totalité de ses réserves pléthoriques en bons du Trésor américains, un produit sûr mais à la rentabilité limitée. (La Banque centrale chinoise est à ce jour la deuxième détentrice au monde d'obligations américaines pour environ 600 milliards de dollars.) Ces placements avaient également, et surtout, le bon goût de ne pas mettre la maison USA en faillite compte-tenu de l'accumulation des déficits américains. De plus, avec la baisse du dollar et la soif de rémunérations plus juteuses, le gouvernement chinois a voulu modifier la donne. Il a donc créé la SIE qui devrait gérer entre 200 et 300 milliards de dollars de ces abondantes réserves de la Banque centrale de Chine.
L'année dernière la Chine, via CNOOC la compagnie nationale des pétroles chinoise, avait offert de racheter directement le pétrolier américain Unocal pour 18,5 milliards de dollars contre une offre de l'américain Chevron. L'offre avait déclenchée une levée de boucliers protectionniste d'ampleur inégalée - nous ne sommes pas les seuls à pratiquer le « patriotisme économique » - qui avait fait capoter la proposition chinoise. Leçon de « capitalisme total » bien reçue de Pékin, qui en applique la substantifique moelle en prenant aujourd'hui position un cran plus haut dans la chaîne alimentaire, dans un des plus gros fonds d'investissement américain. Avec toute la subtilité des fils du Ciel : au terme de l'accord signé, la SIE devra conserver sa participation dans Blackstone pendant quatre ans et s'interdit d'investir dans un fond d'investissement concurrent durant les 12 prochains mois. De plus, sur cette période, sa participation devra rester sous le seuil des 10 %. Voyez comme leurs intentions sont pacifiques ; d'ailleurs « peaceful rise » est le slogan lancé par le Président Hu pour le développement économique de la Chine.
Certains observateurs pensent que ces 3 milliards sont seulement le prix de la première leçon d'investissement. En prenant un siège aux premières loges chez Blackstone Group, la SIE paierait pour apprendre à investir dans le non-coté auprès du plus grand praticien de la discipline. Que faut-il attendre quand l'élève aura dépassé le maître ?
D'autres observateurs suspectent le gouvernement chinois de chercher à s'acheter une atténuation des critiques américaines sur le cours artificiellement bas du yuan qui creuse le déficit de la balance commerciale américaine. D'autres rappellent opportunément que Steve Schwarzman a organisé, pas plus tard que le mois dernier, un diner pour lever des fonds pour le parti Républicain de George Bush, un ancien camarade de promo de Yale University. On imagine également que Blackstone a, en retour, des visées sur la Chine, au moment ou son concurrent direct, Carlyle, a échoué l'an dernier dans sa tentative de LBO sur l'équipementier chinois Xugong - toujours au motif du « patriotisme économique » complaisamment resservi aux américains par les chinois.
Quoiqu'il en soit c'est aujourd'hui le communiste qui pratique le capitalisme le plus total, beau renversement de positions ! « Quand la Chine s'éveillera… » prophétisait jadis Alain Peyrefitte...
mercredi, mai 23, 2007
dimanche, mai 20, 2007
Web = Moteur de recherche + Publicité en ligne + Applications, l'équation à 6 milliards de dollars
La consolidation dans le Web avance maintenant au rythme rapide des méga-acquisitions. Alors que Google venait juste d'annoncer son nouveau slogan « Search, Ads and Apps » (Moteur de recherche, Publicité en ligne et Applications), Microsoft semble reprendre à son compte ce saisissant résumé commercial d'Internet avec la tonitruante acquisition de AQuantive pour 6 milliards de dollars.
Analysons donc cette équation si coûteuse.
1. Recherche
Comme dans la mythologie grecque, les Titans du Web s'affrontent dans une bataille permanente. Au plan de la recherche sur le Web, Google, cette semaine encore, montrait qu'il ne se laissait pas impunément défier sa position de leader en dévoilant Universal Search, un service d'agrégation de ses différents moteurs de recherches (Web, images, vidéos, livres, etc.).
La stratégie de Google vise à maintenir sa position de force contre les moteurs de recherche alternatifs émergents. Ces moteurs sont habituellement classés en trois grandes catégories aux frontières d'ailleurs indécises :
- ceux fondés sur des technologies différentes, supposées ou prétendues « meilleures » que celles des géants du moteur de recherche (exemples : agents, langage naturel, sémantique illustrés par Sinequa, Hakia, Exalead, Lexxe Copernic et d'autres).
- ceux fondés sur le « social computing » et sur le mimétisme des utilisateurs (exemples : del.icio.us racheté par Yahoo!, Rollyo, Yoono, ChaCha etc.) dont certains ont déjà des millions d'utilisateurs, souvent profilés et donc de grande valeur pour les annonceurs.
- ceux tentant de se distinguer par une interface utilisateur différente de celles auxquelles les Titans nous ont, par la force des chose, habitués (exemples : les prévisualisations comme avec Microsoft Live et Snap ; les agrégations comme avec Clusty, SearchMash de Google lui-même !, Copernic, Teoma devenu Ask - The Algorithm ! - ; et la visualisation comme chez Quintura, Kartoo, et bien d'autres).
- ceux enfin dit « verticaux » très nombreux qui s'intéressent à un domaine spécifique (santé, actualités, offres d'emploi, voyages, produits...) ou à des sources spécifiques (images, vidéos, blogs, flux RSS etc.). Dans ce registre la concurrence est active : on rappelle la rachat du moteur vertical sur la Santé, Medstory, par Microsoft en février dernier. Colportons également ici la rumeur de l'acquisition imminente de FeedBurner, le plus gros agrégateur de flux RSS, par Google.
En menant de pair une politique d'acquisition de sites de contenus, comme celle de YouTube ($1,7bn), qui se double ici d'une acquisition d'une base de « spectateurs » mûrs pour une dose supplémentaire de publicité en ligne, Google vise à se présenter comme universel tant du côté client que du côté serveur. Sur ce plan, Yahoo! n'est pas en reste. La longue série d'acquisitions de Yahoo! ces dernières années, Inktomi, AlltheWeb, Overture, Kelkoo, Stata Labs/Bloomba, Flickr, Alibaba, Upcoming.org, del.icio.us, MyBlogLog, et ce week-end même Bebo ($1bn) le plus grand site Web social anglais, se déchiffre suivant la même grille d'interprétation.
2. Applications
La confrontation est engagée de longue date sur ce front. Depuis Google Desktop, le géant de Mountain View ne cache pas ses ambitions sur le marché des applications bureautiques, le terrain de chasse traditionnel de Microsoft. Mêlant acquisitions et développements internes, Google réussit à aligner son interprétation, hébergée en ligne, et bien sûr vecteur de plus de publicité en ligne, d'une suite Office - que certains qualifient hardiment de « Office 2.0 », une conférence de ce titre se tenait l'hiver dernier à San Francisco - directement concurrente du best-seller de Microsoft.
Là aussi l'objectif s'est légèrement déplacé au fur et à mesure des annonces et des livraisons. Google et Microsoft, rejoint d'ailleurs, sur ces sujets, par des challengers comme Adobe et une communauté Open Source de plus en plus active et prolifique, cherchent maintenant à s'accaparer l'attention des développeurs d'applications et des programmeurs : une première étape vers une entrée en force de ces applications dans l'entreprise via le poste client connecté au Web. Notons ironiquement que cette stratégie, loin d'être nouvelle, avait été déployée avec le succès qu'on connaît par Microsoft autour des produits Visual Basic et Visual Studio il y a plus de quinze ans.
Nous avons déjà commenté ailleurs ces stratégies visant à raviver une industrie des logiciels d'entreprise, qui donne depuis quelques années tous les signes d'une consolidation et de la maturité des secteurs cycliques des « commodités », en injectant une dose massive de RIA/RDA pour y revenir ici. Mais remarquons quand même qu'à l'exception (notable) de YUI, Yahoo User Interface, et du récent Yahoo Pipes, Yahoo! est plutôt absent sur ce front. Une orientation que l'on pouvait pressentir dès 2005, quand probablement piqué au vif par le rachat de MySpace par News Corp (juillet 2005, $580m), Yahoo s'orientait décidément vers les médias, nommait des anciens d'ABC à des postes stratégiques et intégrait un gigantesque établissement à Santa Monica, près de Hollywood.
3. Publicité en ligne
C'est évidemment une semaine prodigieuse pour l'industrie de la publicité en ligne que celle qui vient de s'achever. Alors que les analystes se remettaient à peine de l'acquisition de DoubleClick par Google ($3,1bn) le mois dernier immédiatement contrée par celle de RightMedia par Yahoo! ($680m), voici donc qu'à quelques jours d'intervalles WPP acquiert 24/7 Real Media ($650m) et Microsoft s'empare de AQuantive pour 6 milliards de dollars.
Il est instructif de comparer les valorisations sous-jacentes à ces méga-deals :
Google/Double Click : $3,1bn pour 290mds d'impressions par mois ;
Yahoo!/RightMedia : $0,85bn pour 20mds d'impressions par mois ;
WPP/24-7 Rich Media : $0,65bn pour 200mds d'impressions par mois ;
Microsoft/AQuantive : $6bn pour 220 mds d'impressions par mois ; par ailleurs, AQuantive affiche des marges de seulement 12% (comparées aux 28% de Microsoft) et un chiffre d'affaires de $442m l'année dernière.
La prime incroyable payée par Microsoft (86% de plus que le cours de Bourse d'AQuantive), se retrouve également dans le prix par impression par mois deux fois plus élevé, en gros, que celui consenti par les acquéreurs dans les précédentes transations. Le message de Microsoft va donc bien au-delà de son simple maintien dans la course à la consolidation : le géant de Redmond rappelle qu’il est primus inter pares, et que l'argent reste roi : son trésor de guerre fait pâlir tous ses concurrents !
Magnifiques exemples, au demeurant, de consolidation industrielle au sens économique et classique du terme. Le marché de la publicité en ligne représenterait environ $40bn cette année et, surtout, serait animé d'une croissance de plus de 20% par an. Voilà qui ne laisse aucun de nos Titans indifférent. Le départ avait été donné, il y a quelques années, par l'acquisition d'Advertising.com par AOL (juin 2004, $435m). AOL avait alors mis en avant la combinaison du stock d'AOL et du réseau d'Advertising.com pour les annonceurs et les éditeurs de contenus. Microsoft met aujourd'hui en avant les mêmes arguments à l'occasion de cette acquisition. La combinaison du réseau d'AQuantive, qui se réclame le leader pour les achats et la gestion de campagne marketing (Atlas) pour les agences, et du stock représenté par Microsoft - surtout avec sa politique « multi-devices » clairement affichée - serait la nouvelle combinaison gagnante.
Et de fait, la stratégie différenciée de Microsoft vise à démultiplier sa présence sur les formes émergentes de média comme :
- la téléphonie mobile (et un cocorico cocardier de plus pour les acquisitions de MotionBridge et de ScreenTonic, mais aussi Tellme Networks, en mars dernier pour $800m environ) ;
- les consoles de jeux (avec, en particulier, le rachat en 2006 de Massive pour $300m, le pionnier de la publicité dans les jeux, mais aussi la litanie d'acquisition de studios comme Bungie, LionHead etc.) ;
- la PCTV/IPTV, la télévision sur PC ou sur réseau IP, dont la croissance lente n'empêche pas les grands acteurs d'y poursuivre leurs investissements. (Début mai, ici, France Telecom annonçait une base de 768.000 utilisateurs de MaLigneTV singulièrement en croissance du niveau de 200.000 environ qu'elle avait atteint auparavant.)
L'objectif est évidemment d'accroître le stock pour les annonceurs en ligne et de compléter ainsi l'intégration verticale.
Alors après avoir prétendu à l'annonce de deux scoops qui illustreraient parfaitement cette grille de lecture, le rachat de FeedBurner par Google et celui de Bebo par Yahoo!, j'imagine que le point final de la démonstration serait donné par un troisième, en fait la réalisation d'une rumeur persistante depuis quelques mois : la combinaison unique du plus grand stock mondial et de l'ambitieux leader de l'édition du logiciel, le rachat de Yahoo! par Microsoft.
Les acquisitions n'ont pas fini de nous donner le tournis...
Analysons donc cette équation si coûteuse.
1. Recherche
Comme dans la mythologie grecque, les Titans du Web s'affrontent dans une bataille permanente. Au plan de la recherche sur le Web, Google, cette semaine encore, montrait qu'il ne se laissait pas impunément défier sa position de leader en dévoilant Universal Search, un service d'agrégation de ses différents moteurs de recherches (Web, images, vidéos, livres, etc.).
La stratégie de Google vise à maintenir sa position de force contre les moteurs de recherche alternatifs émergents. Ces moteurs sont habituellement classés en trois grandes catégories aux frontières d'ailleurs indécises :
- ceux fondés sur des technologies différentes, supposées ou prétendues « meilleures » que celles des géants du moteur de recherche (exemples : agents, langage naturel, sémantique illustrés par Sinequa, Hakia, Exalead, Lexxe Copernic et d'autres).
- ceux fondés sur le « social computing » et sur le mimétisme des utilisateurs (exemples : del.icio.us racheté par Yahoo!, Rollyo, Yoono, ChaCha etc.) dont certains ont déjà des millions d'utilisateurs, souvent profilés et donc de grande valeur pour les annonceurs.
- ceux tentant de se distinguer par une interface utilisateur différente de celles auxquelles les Titans nous ont, par la force des chose, habitués (exemples : les prévisualisations comme avec Microsoft Live et Snap ; les agrégations comme avec Clusty, SearchMash de Google lui-même !, Copernic, Teoma devenu Ask - The Algorithm ! - ; et la visualisation comme chez Quintura, Kartoo, et bien d'autres).
- ceux enfin dit « verticaux » très nombreux qui s'intéressent à un domaine spécifique (santé, actualités, offres d'emploi, voyages, produits...) ou à des sources spécifiques (images, vidéos, blogs, flux RSS etc.). Dans ce registre la concurrence est active : on rappelle la rachat du moteur vertical sur la Santé, Medstory, par Microsoft en février dernier. Colportons également ici la rumeur de l'acquisition imminente de FeedBurner, le plus gros agrégateur de flux RSS, par Google.
En menant de pair une politique d'acquisition de sites de contenus, comme celle de YouTube ($1,7bn), qui se double ici d'une acquisition d'une base de « spectateurs » mûrs pour une dose supplémentaire de publicité en ligne, Google vise à se présenter comme universel tant du côté client que du côté serveur. Sur ce plan, Yahoo! n'est pas en reste. La longue série d'acquisitions de Yahoo! ces dernières années, Inktomi, AlltheWeb, Overture, Kelkoo, Stata Labs/Bloomba, Flickr, Alibaba, Upcoming.org, del.icio.us, MyBlogLog, et ce week-end même Bebo ($1bn) le plus grand site Web social anglais, se déchiffre suivant la même grille d'interprétation.
2. Applications
La confrontation est engagée de longue date sur ce front. Depuis Google Desktop, le géant de Mountain View ne cache pas ses ambitions sur le marché des applications bureautiques, le terrain de chasse traditionnel de Microsoft. Mêlant acquisitions et développements internes, Google réussit à aligner son interprétation, hébergée en ligne, et bien sûr vecteur de plus de publicité en ligne, d'une suite Office - que certains qualifient hardiment de « Office 2.0 », une conférence de ce titre se tenait l'hiver dernier à San Francisco - directement concurrente du best-seller de Microsoft.
Là aussi l'objectif s'est légèrement déplacé au fur et à mesure des annonces et des livraisons. Google et Microsoft, rejoint d'ailleurs, sur ces sujets, par des challengers comme Adobe et une communauté Open Source de plus en plus active et prolifique, cherchent maintenant à s'accaparer l'attention des développeurs d'applications et des programmeurs : une première étape vers une entrée en force de ces applications dans l'entreprise via le poste client connecté au Web. Notons ironiquement que cette stratégie, loin d'être nouvelle, avait été déployée avec le succès qu'on connaît par Microsoft autour des produits Visual Basic et Visual Studio il y a plus de quinze ans.
Nous avons déjà commenté ailleurs ces stratégies visant à raviver une industrie des logiciels d'entreprise, qui donne depuis quelques années tous les signes d'une consolidation et de la maturité des secteurs cycliques des « commodités », en injectant une dose massive de RIA/RDA pour y revenir ici. Mais remarquons quand même qu'à l'exception (notable) de YUI, Yahoo User Interface, et du récent Yahoo Pipes, Yahoo! est plutôt absent sur ce front. Une orientation que l'on pouvait pressentir dès 2005, quand probablement piqué au vif par le rachat de MySpace par News Corp (juillet 2005, $580m), Yahoo s'orientait décidément vers les médias, nommait des anciens d'ABC à des postes stratégiques et intégrait un gigantesque établissement à Santa Monica, près de Hollywood.
3. Publicité en ligne
C'est évidemment une semaine prodigieuse pour l'industrie de la publicité en ligne que celle qui vient de s'achever. Alors que les analystes se remettaient à peine de l'acquisition de DoubleClick par Google ($3,1bn) le mois dernier immédiatement contrée par celle de RightMedia par Yahoo! ($680m), voici donc qu'à quelques jours d'intervalles WPP acquiert 24/7 Real Media ($650m) et Microsoft s'empare de AQuantive pour 6 milliards de dollars.
Il est instructif de comparer les valorisations sous-jacentes à ces méga-deals :
Google/Double Click : $3,1bn pour 290mds d'impressions par mois ;
Yahoo!/RightMedia : $0,85bn pour 20mds d'impressions par mois ;
WPP/24-7 Rich Media : $0,65bn pour 200mds d'impressions par mois ;
Microsoft/AQuantive : $6bn pour 220 mds d'impressions par mois ; par ailleurs, AQuantive affiche des marges de seulement 12% (comparées aux 28% de Microsoft) et un chiffre d'affaires de $442m l'année dernière.
La prime incroyable payée par Microsoft (86% de plus que le cours de Bourse d'AQuantive), se retrouve également dans le prix par impression par mois deux fois plus élevé, en gros, que celui consenti par les acquéreurs dans les précédentes transations. Le message de Microsoft va donc bien au-delà de son simple maintien dans la course à la consolidation : le géant de Redmond rappelle qu’il est primus inter pares, et que l'argent reste roi : son trésor de guerre fait pâlir tous ses concurrents !
Magnifiques exemples, au demeurant, de consolidation industrielle au sens économique et classique du terme. Le marché de la publicité en ligne représenterait environ $40bn cette année et, surtout, serait animé d'une croissance de plus de 20% par an. Voilà qui ne laisse aucun de nos Titans indifférent. Le départ avait été donné, il y a quelques années, par l'acquisition d'Advertising.com par AOL (juin 2004, $435m). AOL avait alors mis en avant la combinaison du stock d'AOL et du réseau d'Advertising.com pour les annonceurs et les éditeurs de contenus. Microsoft met aujourd'hui en avant les mêmes arguments à l'occasion de cette acquisition. La combinaison du réseau d'AQuantive, qui se réclame le leader pour les achats et la gestion de campagne marketing (Atlas) pour les agences, et du stock représenté par Microsoft - surtout avec sa politique « multi-devices » clairement affichée - serait la nouvelle combinaison gagnante.
Et de fait, la stratégie différenciée de Microsoft vise à démultiplier sa présence sur les formes émergentes de média comme :
- la téléphonie mobile (et un cocorico cocardier de plus pour les acquisitions de MotionBridge et de ScreenTonic, mais aussi Tellme Networks, en mars dernier pour $800m environ) ;
- les consoles de jeux (avec, en particulier, le rachat en 2006 de Massive pour $300m, le pionnier de la publicité dans les jeux, mais aussi la litanie d'acquisition de studios comme Bungie, LionHead etc.) ;
- la PCTV/IPTV, la télévision sur PC ou sur réseau IP, dont la croissance lente n'empêche pas les grands acteurs d'y poursuivre leurs investissements. (Début mai, ici, France Telecom annonçait une base de 768.000 utilisateurs de MaLigneTV singulièrement en croissance du niveau de 200.000 environ qu'elle avait atteint auparavant.)
L'objectif est évidemment d'accroître le stock pour les annonceurs en ligne et de compléter ainsi l'intégration verticale.
Alors après avoir prétendu à l'annonce de deux scoops qui illustreraient parfaitement cette grille de lecture, le rachat de FeedBurner par Google et celui de Bebo par Yahoo!, j'imagine que le point final de la démonstration serait donné par un troisième, en fait la réalisation d'une rumeur persistante depuis quelques mois : la combinaison unique du plus grand stock mondial et de l'ambitieux leader de l'édition du logiciel, le rachat de Yahoo! par Microsoft.
Les acquisitions n'ont pas fini de nous donner le tournis...
vendredi, mai 18, 2007
Oracle acquiert Agile Software : le début de la fin de la RealPolitik dans le progiciel ?
L'acquisition de Agile Software par Oracle ($495m) constitue-t-elle une rupture du pacte implicite de non-agression qui existait jusqu'alors avec SAP ? La RealPolitik se pratique en effet autant dans l'industrie du logiciel que lors de la constitution de nouveaux gouvernements. De longue date SAP et Oracle sont engagés dans une confrontation qui se traduit par des prises d'assaut de parts de marché à coup d'acquisitions et de croissance externe. Oracle, en particulier, se montre depuis quelques années particulièrement vorace (Siebel, PeopleSoft, JD Edwards, Portal Software, Oblix, G-Log, Retek - emporté déjà contre SAP - ProfitLogic, Sunopsis, TimesTen, MetaSolv, Stellent, Hyperion, pour ne citer que certains de ceux relatifs aux applications métier), mais, comme SAP, savait reconnaître ses faiblesses sur certains secteurs verticaux. Sur certains secteurs industriels, Oracle et SAP maintenaient alors une sorte de « paix armée », chacun reconnaissant que la bataille pour déloger l'autre de ses forteresses traditionnelles serait trop lourde à mener.
Jusqu'à maintenant Oracle admettait tacitement, malgré certaines de ses déclarations publiques, que SAP était moins vulnérable à ses attaques dans les secteurs industriels très capitalistiques (high-tech, secteurs manufacturiers et ingénierie). L'acquisition de JD Edwards, trouvé dans la corbeille de mariée lors du rapprochement avec PeopleSoft, avait permis au géant de Redwood de prendre pied dans ces secteurs. L'acquisition d'Agile Software, au moment précis où le PLM (Product Lifecycle Management) étend rapidement à de nouvelles industries son champ d'application (santé, alimentation, biens de consommation, high-tech), renforce donc sa position et l'étend même à ces nouveaux secteurs en pleine expansion. Et inversement, Oracle se posant en généraliste des applications métier pourrait entraîner plus rapidement encore le PLM bien au-delà de ses bases conventionnelles dans les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile. En cela, Oracle montre aussi son intention de défier les grands éditeurs du PLM comme Dassault Systèmes, UGS et PTC sur leur propre terrain.
Notre champion national, au fait des enjeux, vient juste d'acquérir MatrixOne ($408m), un éditeur de progiciels de gestion collaborative de contenus techniques, tout comme Agile Software, centré sur la définition des produits, la gestion de propriété intellectuelle, la visualisation et l'échange des données techniques, le « sourcing » stratégique et la gestion de configuration. (L'autre marché du PLM est celui, plus ancien, des outils de CAO, CAD/CAM - Computer Aided Design, Computer Aided Manufacturing -, EDA - Electronic Design Automation -, de la simulation et du calcul technique.)
Sur ces deux tableaux, PTC, quant à lui, avait acquis ArborText (juillet 2005, $190m) et MathSoft (avril 2006, $63m), par exemple.
Siemens, en janvier 2007, annonçait l'acquisition de UGS ($3.5 milliards), résultat de la fusion des pionniers SDRC et Unigraphics orchestrée en 2001 par EDS, et rebaptisait l'entité UGS PLM Software pour clairement afficher ses ambitions sur ces marchés.
SAP, qui était entré seulement en 2000 sur le marché du PLM, voit donc sa base SAP PLM/Oracle installée - qui doit néanmoins engendrer moins de revenus que ses vaisseaux amiraux SAP SCM et SAP CRM (Supply Chain Management et Customer Relationship Management, respectivement) - sous la menace imminente d'offre de substitution tout Oracle avec Agile Software.
Et l'on peut imaginer sans difficultés qu'Oracle ayant acquis une tête de pont sur les marchés du PLM ne s'arrêtera pas là et fera d'Agile Software son fer de lance pour une diversification à la hussarde dans de nouveaux secteurs industriels verticaux et pour une offensive « métier » du PLM dans les autres secteurs où l’éditeur est dominant.
Jusqu'à maintenant Oracle admettait tacitement, malgré certaines de ses déclarations publiques, que SAP était moins vulnérable à ses attaques dans les secteurs industriels très capitalistiques (high-tech, secteurs manufacturiers et ingénierie). L'acquisition de JD Edwards, trouvé dans la corbeille de mariée lors du rapprochement avec PeopleSoft, avait permis au géant de Redwood de prendre pied dans ces secteurs. L'acquisition d'Agile Software, au moment précis où le PLM (Product Lifecycle Management) étend rapidement à de nouvelles industries son champ d'application (santé, alimentation, biens de consommation, high-tech), renforce donc sa position et l'étend même à ces nouveaux secteurs en pleine expansion. Et inversement, Oracle se posant en généraliste des applications métier pourrait entraîner plus rapidement encore le PLM bien au-delà de ses bases conventionnelles dans les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile. En cela, Oracle montre aussi son intention de défier les grands éditeurs du PLM comme Dassault Systèmes, UGS et PTC sur leur propre terrain.
Notre champion national, au fait des enjeux, vient juste d'acquérir MatrixOne ($408m), un éditeur de progiciels de gestion collaborative de contenus techniques, tout comme Agile Software, centré sur la définition des produits, la gestion de propriété intellectuelle, la visualisation et l'échange des données techniques, le « sourcing » stratégique et la gestion de configuration. (L'autre marché du PLM est celui, plus ancien, des outils de CAO, CAD/CAM - Computer Aided Design, Computer Aided Manufacturing -, EDA - Electronic Design Automation -, de la simulation et du calcul technique.)
Sur ces deux tableaux, PTC, quant à lui, avait acquis ArborText (juillet 2005, $190m) et MathSoft (avril 2006, $63m), par exemple.
Siemens, en janvier 2007, annonçait l'acquisition de UGS ($3.5 milliards), résultat de la fusion des pionniers SDRC et Unigraphics orchestrée en 2001 par EDS, et rebaptisait l'entité UGS PLM Software pour clairement afficher ses ambitions sur ces marchés.
SAP, qui était entré seulement en 2000 sur le marché du PLM, voit donc sa base SAP PLM/Oracle installée - qui doit néanmoins engendrer moins de revenus que ses vaisseaux amiraux SAP SCM et SAP CRM (Supply Chain Management et Customer Relationship Management, respectivement) - sous la menace imminente d'offre de substitution tout Oracle avec Agile Software.
Et l'on peut imaginer sans difficultés qu'Oracle ayant acquis une tête de pont sur les marchés du PLM ne s'arrêtera pas là et fera d'Agile Software son fer de lance pour une diversification à la hussarde dans de nouveaux secteurs industriels verticaux et pour une offensive « métier » du PLM dans les autres secteurs où l’éditeur est dominant.
dimanche, mai 13, 2007
La course à la base installée de programmeurs est lancée
Et c'est reparti comme au début des années 1990, à l'avènement de l'ère de l'architecture client-serveur, les grands de l'industrie du logiciel se lancent dans une course à la base installée de développeurs. À peine Adobe avait-il annoncé la mise (partielle) de Flex sous licence Open Source, que Microsoft inaugurait son rendez-vous Web annuel, MIX07 à Las Vegas, strass et paillettes, sous le signe du nouveau Silverlight, dont il laissait filtrer qu'il pourrait, lui aussi, être l'objet de licences Open Source -- presque une première pour le géant de Redmond. Sun Microsystems, craignant sans doute une marginalisation du langage de programmation Java -- largement infondée à mon sens -- se précipitait alors pour ouvrir JavaOne, la grand-messe elle aussi annuelle à San Francisco, sur l'annonce de JavaFX, une plate-forme complète de développement autour du langage de script JavaFX Script.
L'enjeu de cet alignement de forces prêtes à la confrontation : atteindre la plus grande base installée de développeurs de cette nouvelle vague architecturale, appelée RIA (Rich Internet Applications), applications Internet riches, et RDA (Rich Desktop Applications), applications de bureau riches. La richesse ainsi mise en avant est avant tout celle de l'interface graphique. Pour les trois candidats à la prééminence, en effet, il ne fait désormais plus de doute que leurs outils et technologies de nouvelle génération, entendre par là : utilisables dans un navigateur Web ou sur le « desktop » connecté au Web, sont comparables à leurs technologies de la génération précédente, dites de client « lourd ». Cette mutation du client « fin » (thin client), opposé naguère au client lourd, i.e. Windows, en client « riche » est au premier chef à mettre au compte de la transformation des navigateurs Web. Ceux-ci sont passés en quelques années de simples fenêtres de visualisation de pages HTML, au statut d'application, elle-même client lourd, capable de traitements complexes, avec l'addition de XML et de Javascript, voire d'accès à des ressources locales du poste client (Web OS).
Dans cette imminente conflagration, chaque partie veut jouer de ses atouts.
Adobe, dont la stratégie d'opposition à Microsoft est très intéressante, affiche clairement l'ambition de s'appuyer sur l'immense base installée de lecteurs Flash dans les navigateurs -- y compris dans Internet Explorer -- pour faire de Flash une plate-forme complète de développement. D'où Flex, qui séduirait plus le programmeur que le graphiste, profil courant de l'utilisateur actuel de Flash, le Flex SDK -- livré en Open Source dès la fin de l'année, pour attirer ces mêmes programmeur -- ; le Flex Data Services -- qui lui reste payant (et cher !) --, un middleware classique entre client Flash et serveur Flex ; et le regroupement visant le RDA de Flex, PDF et DHTML sous le nom Apollo.
Microsoft, ruisselant encore de l'effort de développement de Vista, livré au début de cette année, entend mettre sa nouvelle architecture au service de ces nouvelles applications clientes riches. Pour séduire les utilisateurs, l'éditeur insiste donc sur la pertinence de Silverlight pour les applications musicales, vidéo et vectorielles, emblématiques à la fois de la nouvelle version de Windows et de nombreux sites communautaires Web 2.0. Pour attirer (et retenir) les programmeurs, deux versions de Silverlight au programme : une 1.0 qui réunit Javascript et XAML, le dialecte XML de Microsoft pour la description de GUI ; puis une 1.1, au régime supérieur, embarquant une machine virtuelle .Net -- le fameux CLR, Common Language Runtime -- offrant donc (i) l'accès à de nombreux langages de programmation plutôt qu'à un seul et (ii) une compatibilité avec les API .NET utilisées depuis des années par les développeurs Microsoft. L'intégration immédiate à Visual Studio et Expression vont dans le même sens.
Enfin, Sun met en avant la portabilité et la force de la plate-forme Java comme socle de JavaFX d'une part, et l'utilisation de JavaFX pour les applications mobiles -- un des différenciateurs de Java sur lequel Sun a toujours joué dans sa stratégie logiciel -- inspiré de la technologie Savaje rachetée par Sun en avril dernier. Couplé à l'IDE Netbeans et ses extensions comme jMaki pour Ajax, il constitue un environnement de développement qui se veut complet pour les applications RIA/RDA.
Pour compléter le tableau des forces en présence, il faut évidemment mentionner les efforts de formalisation de l'approche Ajax par un frémissement de startups et d'acteurs plus souvent liés à l'Open Source qu'aux éditeurs commerciaux, la fondation Mozilla en première ligne. Autour du langage Javascript fleurissent aujourd'hui une incroyable quantité de bibliothèques de programmation visant à simplifier son usage pour des applications DHTML. Cette prolifération peut d'ailleurs causer de sérieux maux de têtes au programmeur qui souhaiterait utiliser le modèle orienté objet de l'une, les effets graphiques de l'autre et l'API de communication d'une troisième ! L'interpréteur Javascript existe également sous plusieurs formes, intégré au navigateur, intégré au serveur (Phobos, POW), indépendant (NJS, Rhino). Enfin, le langage lui-même est à la veille d'une nouvelle révision, Javascript 2.0, basée sur le standard ECMAScript 4.0. C'est également sans compter d'autres langages de programmation dynamiques qui disputent leur pole position aux précédents pour les applications Web comme Python, Ruby, etc. De même, chez Novell, le nouvel allié de Microsoft dans l'Open Source, on assure être déjà en train de porter Silverlight vers Linux dans le cadre du projet Mono.
L'alliance OpenAjax, quant à elle, s'est constituée entre plus de 80 fournisseurs et consommateurs de cette approche du développement d'applications pour s'assurer de la compatibilité des évolutions des différents constituants de cette ébauche de plate-forme. Par ailleurs, la communauté Javascript est également au travail sur un middleware de communication pour applications Ajax, appelé Comet, qui permet au serveur de « pousser » les données vers les navigateurs clients et de limiter l'usage de la bande passante du réseau au minimum indispensable.
Décidément, l'histoire se répète et les développeurs sont en train de redevenir une population choyée des éditeurs lancés à leur poursuite !
L'enjeu de cet alignement de forces prêtes à la confrontation : atteindre la plus grande base installée de développeurs de cette nouvelle vague architecturale, appelée RIA (Rich Internet Applications), applications Internet riches, et RDA (Rich Desktop Applications), applications de bureau riches. La richesse ainsi mise en avant est avant tout celle de l'interface graphique. Pour les trois candidats à la prééminence, en effet, il ne fait désormais plus de doute que leurs outils et technologies de nouvelle génération, entendre par là : utilisables dans un navigateur Web ou sur le « desktop » connecté au Web, sont comparables à leurs technologies de la génération précédente, dites de client « lourd ». Cette mutation du client « fin » (thin client), opposé naguère au client lourd, i.e. Windows, en client « riche » est au premier chef à mettre au compte de la transformation des navigateurs Web. Ceux-ci sont passés en quelques années de simples fenêtres de visualisation de pages HTML, au statut d'application, elle-même client lourd, capable de traitements complexes, avec l'addition de XML et de Javascript, voire d'accès à des ressources locales du poste client (Web OS).
Dans cette imminente conflagration, chaque partie veut jouer de ses atouts.
Adobe, dont la stratégie d'opposition à Microsoft est très intéressante, affiche clairement l'ambition de s'appuyer sur l'immense base installée de lecteurs Flash dans les navigateurs -- y compris dans Internet Explorer -- pour faire de Flash une plate-forme complète de développement. D'où Flex, qui séduirait plus le programmeur que le graphiste, profil courant de l'utilisateur actuel de Flash, le Flex SDK -- livré en Open Source dès la fin de l'année, pour attirer ces mêmes programmeur -- ; le Flex Data Services -- qui lui reste payant (et cher !) --, un middleware classique entre client Flash et serveur Flex ; et le regroupement visant le RDA de Flex, PDF et DHTML sous le nom Apollo.
Microsoft, ruisselant encore de l'effort de développement de Vista, livré au début de cette année, entend mettre sa nouvelle architecture au service de ces nouvelles applications clientes riches. Pour séduire les utilisateurs, l'éditeur insiste donc sur la pertinence de Silverlight pour les applications musicales, vidéo et vectorielles, emblématiques à la fois de la nouvelle version de Windows et de nombreux sites communautaires Web 2.0. Pour attirer (et retenir) les programmeurs, deux versions de Silverlight au programme : une 1.0 qui réunit Javascript et XAML, le dialecte XML de Microsoft pour la description de GUI ; puis une 1.1, au régime supérieur, embarquant une machine virtuelle .Net -- le fameux CLR, Common Language Runtime -- offrant donc (i) l'accès à de nombreux langages de programmation plutôt qu'à un seul et (ii) une compatibilité avec les API .NET utilisées depuis des années par les développeurs Microsoft. L'intégration immédiate à Visual Studio et Expression vont dans le même sens.
Enfin, Sun met en avant la portabilité et la force de la plate-forme Java comme socle de JavaFX d'une part, et l'utilisation de JavaFX pour les applications mobiles -- un des différenciateurs de Java sur lequel Sun a toujours joué dans sa stratégie logiciel -- inspiré de la technologie Savaje rachetée par Sun en avril dernier. Couplé à l'IDE Netbeans et ses extensions comme jMaki pour Ajax, il constitue un environnement de développement qui se veut complet pour les applications RIA/RDA.
Pour compléter le tableau des forces en présence, il faut évidemment mentionner les efforts de formalisation de l'approche Ajax par un frémissement de startups et d'acteurs plus souvent liés à l'Open Source qu'aux éditeurs commerciaux, la fondation Mozilla en première ligne. Autour du langage Javascript fleurissent aujourd'hui une incroyable quantité de bibliothèques de programmation visant à simplifier son usage pour des applications DHTML. Cette prolifération peut d'ailleurs causer de sérieux maux de têtes au programmeur qui souhaiterait utiliser le modèle orienté objet de l'une, les effets graphiques de l'autre et l'API de communication d'une troisième ! L'interpréteur Javascript existe également sous plusieurs formes, intégré au navigateur, intégré au serveur (Phobos, POW), indépendant (NJS, Rhino). Enfin, le langage lui-même est à la veille d'une nouvelle révision, Javascript 2.0, basée sur le standard ECMAScript 4.0. C'est également sans compter d'autres langages de programmation dynamiques qui disputent leur pole position aux précédents pour les applications Web comme Python, Ruby, etc. De même, chez Novell, le nouvel allié de Microsoft dans l'Open Source, on assure être déjà en train de porter Silverlight vers Linux dans le cadre du projet Mono.
L'alliance OpenAjax, quant à elle, s'est constituée entre plus de 80 fournisseurs et consommateurs de cette approche du développement d'applications pour s'assurer de la compatibilité des évolutions des différents constituants de cette ébauche de plate-forme. Par ailleurs, la communauté Javascript est également au travail sur un middleware de communication pour applications Ajax, appelé Comet, qui permet au serveur de « pousser » les données vers les navigateurs clients et de limiter l'usage de la bande passante du réseau au minimum indispensable.
Décidément, l'histoire se répète et les développeurs sont en train de redevenir une population choyée des éditeurs lancés à leur poursuite !
samedi, mai 05, 2007
La sagesse des foules ?
Les récentes péripéties de Digg illustrent parfaitement d'un côté le péril des sites et services Web 2.0 fondés sur les communautés et, de l'autre, le dilemme posé par l'émergence de facto de nouvelles règles de comportement et de consommation des contenus numériques.
Digg, le site d'agrégation et de partage de nouvelles, devant la multiplication des injonctions de l'Advanced Access Content System Licensing Administration, s'était vu contraint de supprimer d'autorité un billet d'un programmeur qui révélait un code débloquant la copie de DVD au format haute définition HD-DVD. L'AACS (« Share The Vision » proclame fièrement le slogan de sa page d'accueil) est un poids lourd : fondé par IBM, Intel, Microsoft, Panasonic, Toshiba, Sony, Disney et Warner Brothers, on imagine aisément qu'elle ne plaisante pas avec le DRM, la gestion de droits numériques.
Pour être précis, ce code est en fait nécessaire pour permettre la lecture de ce type de DVD sous Linux, un système d'exploitation non autorisé pour l'instant, et éventuellement la copie, si, du moins, le logiciel pour la faire était disponible. Le code n'est donc à proprement parler qu'une clé qui permettrait éventuellement de contourner un mécanisme de protection de droits imposé par des industriels. Aux Etats-Unis, le contournement de dispositifs de protection est considéré comme illégal et sanctionné.
Devant les menaces légales, Digg avait donc cédé et supprimé le compte de celui qui offensait ainsi les géants du contenu. Mais le programmeur à l'origine du billet s'estimant floué par le site, réussit à faire remonter le billet en question affichant le code incriminé dans le classement Digg en employant une nouvelle identité Digg et déclenchant au passage une vague protestataire de grande ampleur, des milliers d'utilisateurs Digg se mettant à faire de même et à poster le code hexadécimal sur d'autres sites communautaires. En quelques jours, la chaîne de caractères était devenue le nombre entier le plus visible dans la blogosphère. Devant la démonstration de force de cette foule anonyme mais solidaire, le fondateur de Digg, Kevin Rose, annonçait le 1er Mai revenir sur sa décision et laisser les utilisateurs poster suivant leur gré (mais avait-il le choix ?). Rose ajoutait qu'il était prêt à faire face à toutes les ramifications légales que cette volte-face pouvait entraîner. Entre laisser les avocats menacer le modèle de développement de son entreprise, qui repose sur l'augmentation du nombre des utilisateurs du service et de la récurrence de leurs interactions sur le site, alors que céder à leurs injonctions premières entraînait la colère des internautes et leur abandon en masse du site après leur action collective de soutien, et faire face en défendant à tout prix la liberté des utilisateurs, le choix de Kevin Rose est plutôt inhabituel.
En France, par exemple, les nouvelles dispositions légales peuvent contraindre un hébergeur à déconnecter tout site qui « mettrait à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés » sous peine d'amende et de peine de prison.
Même si Digg et Kevin Rose en appellent, en des termes grandiloquents, à la liberté de parole qui est dans la Constitution américaine et se drapent dans des mots d'ordre, « Power to the People » (Pouvoir au Peuple !), qui rappellent une autre époque, le fond de la décision me semble avant tout reposer sur une analyse plutôt lucide du business dans lequel Digg est engagé et de ses éventuelles chances de succès. Au plan des ressources d'abord : que peuvent réellement les 18 employés de Digg devant les 15 millions de visiteurs uniques par mois que le site attire ? C'est le syndrome « Chicken Run », ce film d'animation récent dans lequel un couple de fermiers décidés à sacrifier leur poulailler au succès du développement commercial de leur ferme, se trouvent rapidement submergés par une « action collective » des dizaines de poules et poulets qui passent, dans le film, du rôle de victimes passives à celui d'aéronautes rescapés (et vengeurs !) en fuite vers des cieux meilleurs.
Un cas antérieur comparable avait été gagné par l'AACS au détriment d'une revue, 2600 Magazine, surnommée « le trimestriel des hackers », en 2000. Le risque était donc réel pour Digg de voir se volatiliser son business en voulant ignorer les premières injonctions. Au vu de l'ampleur de la réaction des internautes, Digg a réévalué son risque et choisi de faire front avec toute sa communauté d'utilisateurs. Le pouvoir des foules.
YouTube, récemment acquis par Google, se trouve dans une situation inconfortable du même ordre. La différence est que malgré des Termes et conditions de services parfaitement clairs à ce sujet, les utilisateurs du site de publication de vidéos continuent à y poster des contenus parfois sous copyright. Comme pressenti au moment de l'acquisition par Google, les procès ne tardèrent pas et Viacom attaqua YouTube mi mars, cherchant 1 milliard de dollars dommages et intérêts pour violation de copyright dans 160.000 clips vidéo téléchargés sur le site par ses utilisateurs. Ce qui évoquait inévitablement les procès lancés par la RIAA (Recording Industry Association of America, la toute puissante association interprofessionnelle qui défend les intérêts de l'industrie du disque américaine) qui eut raison de Napster et de Grokster malgré leur popularité. Mais dans ce cas, le modèle de développement de YouTube ne dépend pas spécifiquement de contenus sous copyright mais bien de vidéos personnelles produites par ses utilisateurs, et, surtout, peut maintenant puiser, contrairement à des startups comme Digg, dans des poches profondes (NASDAQ:GOOG : 146,5 milliards de dollars de capitalisation).
Dans sa réponse officielle au tribunal d'instance de New York, Google indique que « en cherchant à rendre les prestataires et hébergeurs responsables des communications Internet, la plainte de Viacom menace la façon dont des centaines de millions de gens échangent légitimement de l'information, des actualités, du divertissement, et des expressions politiques et artistiques ». (Notons que cette ligne de défense serait plus périlleuse en France, sans parler de la Chine où le comportement de Google fut bien différent par le passé.) Google insiste sur le fait qu'il se place sous le régime protecteur accordé aux hébergeurs et intermédiaires techniques par la loi américaine sur le droit d'auteur (DMCA), d'ailleurs négociée en 1998 entre autres par Viacom ! Pour Viacom, cet argument est fallacieux puisque Google aurait connaissance des contenus qu'il propose sur YouTube. « Il n'est tout simplement pas crédible qu'une entreprise dont la mission est d'organiser l'information du monde prétende qu'il ne peut pas trouver ce qui est sur YouTube », a réagi Viacom dans un communiqué. Google rappelle que des outils de recherche sont à disposition des fournisseurs de contenus et que la longueur des vidéos postées est limitée automatiquement.
C'est dans ce contexte que l'on doit remettre la décision récente de YouTube de commencer (doucement) à rémunérer certains de ses vidéastes. Après avoir négocié durement quelques accords de rémunération avec de grands studios et ayant droits, YouTube commence à payer les créateurs indépendants qui publient leurs vidéos sur le site. Le programme de partage des revenus publicitaires est néanmoins réservé à une toute petite partie des créateurs les plus populaires de YouTube, dans l'esprit de tirer la qualité des vidéos vers le haut et rassurer les annonceurs sur la qualité des vidéos auxquelles leurs messages seront associés. Ici, semble-t-il, on instrumente le pouvoir des foules pour servir des intérêts commerciaux.
Les démêlés de Digg, qui ne sont donc pas finis, montrent aux zélateurs du Web 2.0 que parfois la communauté peut prévaloir sur ses initiateurs. Même au risque de tomber dans l'illégalité ?
Digg, le site d'agrégation et de partage de nouvelles, devant la multiplication des injonctions de l'Advanced Access Content System Licensing Administration, s'était vu contraint de supprimer d'autorité un billet d'un programmeur qui révélait un code débloquant la copie de DVD au format haute définition HD-DVD. L'AACS (« Share The Vision » proclame fièrement le slogan de sa page d'accueil) est un poids lourd : fondé par IBM, Intel, Microsoft, Panasonic, Toshiba, Sony, Disney et Warner Brothers, on imagine aisément qu'elle ne plaisante pas avec le DRM, la gestion de droits numériques.
Pour être précis, ce code est en fait nécessaire pour permettre la lecture de ce type de DVD sous Linux, un système d'exploitation non autorisé pour l'instant, et éventuellement la copie, si, du moins, le logiciel pour la faire était disponible. Le code n'est donc à proprement parler qu'une clé qui permettrait éventuellement de contourner un mécanisme de protection de droits imposé par des industriels. Aux Etats-Unis, le contournement de dispositifs de protection est considéré comme illégal et sanctionné.
Devant les menaces légales, Digg avait donc cédé et supprimé le compte de celui qui offensait ainsi les géants du contenu. Mais le programmeur à l'origine du billet s'estimant floué par le site, réussit à faire remonter le billet en question affichant le code incriminé dans le classement Digg en employant une nouvelle identité Digg et déclenchant au passage une vague protestataire de grande ampleur, des milliers d'utilisateurs Digg se mettant à faire de même et à poster le code hexadécimal sur d'autres sites communautaires. En quelques jours, la chaîne de caractères était devenue le nombre entier le plus visible dans la blogosphère. Devant la démonstration de force de cette foule anonyme mais solidaire, le fondateur de Digg, Kevin Rose, annonçait le 1er Mai revenir sur sa décision et laisser les utilisateurs poster suivant leur gré (mais avait-il le choix ?). Rose ajoutait qu'il était prêt à faire face à toutes les ramifications légales que cette volte-face pouvait entraîner. Entre laisser les avocats menacer le modèle de développement de son entreprise, qui repose sur l'augmentation du nombre des utilisateurs du service et de la récurrence de leurs interactions sur le site, alors que céder à leurs injonctions premières entraînait la colère des internautes et leur abandon en masse du site après leur action collective de soutien, et faire face en défendant à tout prix la liberté des utilisateurs, le choix de Kevin Rose est plutôt inhabituel.
En France, par exemple, les nouvelles dispositions légales peuvent contraindre un hébergeur à déconnecter tout site qui « mettrait à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés » sous peine d'amende et de peine de prison.
Même si Digg et Kevin Rose en appellent, en des termes grandiloquents, à la liberté de parole qui est dans la Constitution américaine et se drapent dans des mots d'ordre, « Power to the People » (Pouvoir au Peuple !), qui rappellent une autre époque, le fond de la décision me semble avant tout reposer sur une analyse plutôt lucide du business dans lequel Digg est engagé et de ses éventuelles chances de succès. Au plan des ressources d'abord : que peuvent réellement les 18 employés de Digg devant les 15 millions de visiteurs uniques par mois que le site attire ? C'est le syndrome « Chicken Run », ce film d'animation récent dans lequel un couple de fermiers décidés à sacrifier leur poulailler au succès du développement commercial de leur ferme, se trouvent rapidement submergés par une « action collective » des dizaines de poules et poulets qui passent, dans le film, du rôle de victimes passives à celui d'aéronautes rescapés (et vengeurs !) en fuite vers des cieux meilleurs.
Un cas antérieur comparable avait été gagné par l'AACS au détriment d'une revue, 2600 Magazine, surnommée « le trimestriel des hackers », en 2000. Le risque était donc réel pour Digg de voir se volatiliser son business en voulant ignorer les premières injonctions. Au vu de l'ampleur de la réaction des internautes, Digg a réévalué son risque et choisi de faire front avec toute sa communauté d'utilisateurs. Le pouvoir des foules.
YouTube, récemment acquis par Google, se trouve dans une situation inconfortable du même ordre. La différence est que malgré des Termes et conditions de services parfaitement clairs à ce sujet, les utilisateurs du site de publication de vidéos continuent à y poster des contenus parfois sous copyright. Comme pressenti au moment de l'acquisition par Google, les procès ne tardèrent pas et Viacom attaqua YouTube mi mars, cherchant 1 milliard de dollars dommages et intérêts pour violation de copyright dans 160.000 clips vidéo téléchargés sur le site par ses utilisateurs. Ce qui évoquait inévitablement les procès lancés par la RIAA (Recording Industry Association of America, la toute puissante association interprofessionnelle qui défend les intérêts de l'industrie du disque américaine) qui eut raison de Napster et de Grokster malgré leur popularité. Mais dans ce cas, le modèle de développement de YouTube ne dépend pas spécifiquement de contenus sous copyright mais bien de vidéos personnelles produites par ses utilisateurs, et, surtout, peut maintenant puiser, contrairement à des startups comme Digg, dans des poches profondes (NASDAQ:GOOG : 146,5 milliards de dollars de capitalisation).
Dans sa réponse officielle au tribunal d'instance de New York, Google indique que « en cherchant à rendre les prestataires et hébergeurs responsables des communications Internet, la plainte de Viacom menace la façon dont des centaines de millions de gens échangent légitimement de l'information, des actualités, du divertissement, et des expressions politiques et artistiques ». (Notons que cette ligne de défense serait plus périlleuse en France, sans parler de la Chine où le comportement de Google fut bien différent par le passé.) Google insiste sur le fait qu'il se place sous le régime protecteur accordé aux hébergeurs et intermédiaires techniques par la loi américaine sur le droit d'auteur (DMCA), d'ailleurs négociée en 1998 entre autres par Viacom ! Pour Viacom, cet argument est fallacieux puisque Google aurait connaissance des contenus qu'il propose sur YouTube. « Il n'est tout simplement pas crédible qu'une entreprise dont la mission est d'organiser l'information du monde prétende qu'il ne peut pas trouver ce qui est sur YouTube », a réagi Viacom dans un communiqué. Google rappelle que des outils de recherche sont à disposition des fournisseurs de contenus et que la longueur des vidéos postées est limitée automatiquement.
C'est dans ce contexte que l'on doit remettre la décision récente de YouTube de commencer (doucement) à rémunérer certains de ses vidéastes. Après avoir négocié durement quelques accords de rémunération avec de grands studios et ayant droits, YouTube commence à payer les créateurs indépendants qui publient leurs vidéos sur le site. Le programme de partage des revenus publicitaires est néanmoins réservé à une toute petite partie des créateurs les plus populaires de YouTube, dans l'esprit de tirer la qualité des vidéos vers le haut et rassurer les annonceurs sur la qualité des vidéos auxquelles leurs messages seront associés. Ici, semble-t-il, on instrumente le pouvoir des foules pour servir des intérêts commerciaux.
Les démêlés de Digg, qui ne sont donc pas finis, montrent aux zélateurs du Web 2.0 que parfois la communauté peut prévaloir sur ses initiateurs. Même au risque de tomber dans l'illégalité ?
Inscription à :
Articles (Atom)